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Guy de Villers

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Le fils de Saül

—premier long-métrage de fiction du jeune réalisateur hongrois LászlóNemes
Grand prix du Jury au Festival de Cannes 2015

Le personnage principal du film, Saül, est un juif hongrois, membre d’un Sonderkommando d’Auschwitz en octobre 1944, un groupe de prisonniers, juifs la plus part du temps, contraints par les nazis de participer à l’extermination (déshabillage, tri des effets, transport des cadavres de la chambre à gaz à la crémation, dispersion des cendres) de leurs coreligionnaires etpériodiquement mis à mort eux-mêmes. Un Sonderkommando —  commando spécial — est placé sous la conduite d’un Kappo, lui-même aux ordres des responsables SS. Le sigle « SS » est l’acronyme de la Schutz staffel (de l'allemand « escadron de protection »), créée dès 1925 pour la protection d’Hitler. La Waffen SS était la branche armée de cette organisation. La SS était placée sous la responsabilité de Heinrich Himmler (1900-1945), le grand responsable de la mise en œuvre de la destruction des juifs d’Europe.
Saül est donc un membre d’un Kommando spécial du camp d’Auschwitz-Birkenau. Alors qu’avec d’autres membres du Kommando, il sortait les corps des chambres à gaz pour les amener jusqu'aux lieux de crémation (fours ou fosses extérieures), il aperçoit le corps d’un jeune adolescent qu’on vient de sortir de la chambre à gaz et qui, par miracle, respire

1 CfrJean-François Reix, « Du désir de Saül », Lacan Quotidien, n° 545. http://www.lacanquotidien.fr/blog/wp-content/uploads/2015/11/LQ-545.pdf
encore. On voit de dos un médecin nazi qui achève le jeune homme en l’étouffant. Et à ce moment, Saül prend une décision : il se met en tête de préserverle cadavre de cet adolescent du sort commun et de lui donner une sépulture et un enterrement conformes au rite juif. Comme l’observe très justement Jean-François Reix 1, ce filet de vie, ce souffle qui a survécu au Zyglon B, a ranimé son désir d’une vie digne, de faire bien ce qui doit être fait. Le film est l’histoire de la quête entêtée de Saül pour cacher le cadavre et pour trouver dans le camp un rabbin qui acceptera de dire le  Kaddish, la « prière des endeuillés », une prière qui est psalmodiée dans la communauté lors du rite funéraire juif. Il justifiera auprès de ses co-détenus du Kommandosa décision et la folie de son entreprise en leur faisant savoir que ce cadavre est celui de son fils. La mise en scène est ici très fine, puisqu’elle laisse planer le doute sur la paternité de Saül, tant est intense l’engagement de cet homme pour sauver ce mort et par là, se sauver lui-même de l’abjection dans laquelle il est plongé.
Caméra à l’épaule, le réalisateur ne lâche pas d’une semelle le héros silencieux de cette quête folle. La mise au point optique est toujours réglée sur le visage de Saül, ce qui laisse le monde environnant, cet Umweltinfernal, dans un flou permanent. Cette technique de prise de vues a deux effets majeurs. Le premier est de préserver le film d’une mise en spectacle de la barbarie la plus infamante qui soit : la Shoah.On connaît le débat contradictoire qui a opposé en France les partisans et les adversaires de la monstration de la Shoah. Lespremiers soutiennent qu’il y a une vertu démonstrative de l’image pour contrer le négationnisme. C’est la position de Georges Didi-Huberman, par exemple. La position de
Claude Lanzmann est diamétralement opposée. L’auteur de ce grand film, Shoah, constitué uniquement de témoignages en l’absence de toute image du génocide, soutient que le crime génocidaire est proprement infigurable.On comprend dès lors le combat constant de Lanzmann contre toutes les tentatives de figurer, par la photo ou par le film, le réel de l’abjection absolue. Or, les deux antagonistes se trouvent d’accord pour reconnaître que le film de LászlóNemes évite le piège du spectacle car « Il ne montre pas la mort, mais la vie de ceux qui ont été obligés de conduireles leurs à la mort. » 2 En cela, l’imaginaire ne recouvre pas le réel de la Jouissance.
Le second effet de cette technique de prise de vue est de nous donner à voir l’invisible, à savoir cette version de Saül totalement habité par son désir décidé de donner à ce corps supplicié d’un adolescent la dignité d’un fils, de son fils, membre de la communauté juive tellement mise à mal dans le projet nazi et l’entreprise d’extermination qui caractérise le camp d’Auschwitz-Birkenau. Dans cet univers de mort, le regard de Saül est tout intérieur. Avoir réussi à rendre sensible ce feu intérieur qui anime tous les mouvements du corps de Saül, avoir réussi à présentifier cet « interiorintimo meo», ce « plus intérieur que mon plus intime », comme dit Saint Augustin dans sesConfessions (Livre III, chap. 6, § 11) 3, n'est

2 Cfr « Le Fils de Saul » et la représentation de la Shoah, par Jacques Mandelbaum,
Le Monde | 03.11.2015 à 09h23 • Mis à jour le 03.11.2015 à 09h28 | (Service Culture).
3Cfr J.-A. Miller, « Extimité », cours 1985-1986, leçon du 20 nov. 1985. Inédit. Cette extimité est une place vide, une béance au cœur de l’identité à soi, place vide que Lacan identifiera au Sujet, à distinguer du Moi (identique à soi), c’est-à-dire le Sujet de l’inconscient. Cette place du plus intime au cœur de l’intimité, Augustin l’appelle Dieu.

pas la moindre prouesse de ce film. En cela, ce film met en scène l’agir éthique du sujet Saül, en tant que l’éthique, comme le dit Lacan, est « le rapport de l’action au désir qui l’habite.» 4Certes, cette béance de l’intime, creuset du désir du sujet, n’a de cesse de trouver abri, « couverture » 5, comme dit Jacques-Alain Miller, une de ces couvertures étant celle de la religion. À cet égard, l’objet de la quête de Saül semble indiquer que c’est le rite funéraire de la religion juive qui polarise l’agir de cet homme. Il veut trouver un rabbin qui dise la prière du Kaddish, la prière des orphelins : Kaddish yatom, ou la prière des endeuillés : Kaddischavelim. Cette prière n’est pas une prière pour le mort ; c’est une célébration du Très Haut, Celui qui entretient l’harmonie universelle. Il faut oser cette prière au plus profond de l’enfer d’une humanité que les nazis s’acharnent à détruire. Dans la tradition hébraïque, ce n’est pas aux morts qu’il appartient de chanter la gloire de Dieu, mais à la communauté des vivants. (« Non mortuilaudabunt te Domine […]sed nos qui vivimus… », Psaume 113 (bible latine) ou 115 (bible hébraïque)) C’est à l’homme plongé dans la détresse qu’il revient d’affirmer la grandeur du projet divin : une tâche presque impossible, un défi religieux.
L’essentiel dans le film n’est pas,me semble-t-il, dans la « couverture » mais dans ce mouvement du corps animé de ce désir d’accomplir un geste d’humanité là où tout est organisé pour la détruire.

Avec cette mise en avant du sujet désirant comme seule « arme » pour s’opposer à la volonté de jouissance absolue qui s’impose dans le camp d

4 J. Lacan, L’éthique de la psychanalyse, Op. cit., p. 361.
5 J.-A. Miller, Cours cité, Id.
’extermination, et qui fait loi, si ce terme avait ici un sens, nous ne pouvons pas ne pas convoquer la figure tragique de l’Antigone de Sophocle. Saül n’est pas Antigone mais, comme elle, il « a fait le choix de la loi du désir face à la loi d’une volonté qui légifère. » 6 Il n’est pas Antigone, car elle peut opposer à Créon la valeur absolue qu’incarne son frère : « mon frère […] il est ce qu’il est, et ce dont il s’agit, c’est de lui rendre les honneurs funéraires. » 7

Lacan le souligne :« ce qui est » ne tient qu’à la nomination qui reconnaît le lien fraternel : adelphos. Cela seul justifie qu’il soit traité pour lui-même et non selon les édits —« kèrugma », les « kérygmes »— les commandements de Créon.C’est donc l’être signifiantisé par le nom (adelphos) qui autorise la transgression de la chaîne signifiante de l’édit royal. En cela, Antigone opère un franchissement qui fait de son désir un acte qui transgresse les limites imposées par le commandement de Créon de soustraire Polynice à la sépulture donnée dans le rite des funérailles.
Le cadavre du fils de Saül est celui du fils de Saül. Et il n’y a pas d’autre raison à invoquer que cette nomination pour disqualifier tous les commandements SS. « Mon fils est mon fils », semble dire Saül. Et cela suffit pour le positionner comme étranger 8 aux commandements féroces chargés de soumettre les prisonniers à la volonté absolue du Maître. En posant cet acte, Saül, comme Antigone, sait qu’il franchit le seuil de l’entre-deux-morts. Il pénètre dans cet espace « entre la vie et la mort.

6 J.-Fr. Reix, « Du désir de Saül », Art. Cit., Ibid.
7 J. Lacan, L’éthique…, p. 324.
8 « Ausländer » es el apellido de Saül.
Sans être encore mort(e), il (elle) est déjà rayé(e) du monde des vivants. » 9 Mais Saül n’est pas Antigone parce qu’il a été immergé dans cet entre-deux sans l’avoir choisi, par le fait de la politique de la solution finale. Il ne l’est pas non plus parce que l’acte qui le porte dans son mouvement vers la sépulture de son fils illumine son regard jusqu’à halluciner l’adolescent s’échappantde l’étreinte duSS. Il n’ya aucune plainte dans la bouche de Saül, à la différence d’Antigone qui fait entendre une longue lamentation (« kommos ») où elle énonce tout ce dont elle sera privée en mourant enterrée vivante. 10
Les dernières séquences du film montre le visage de Saül s’éclairer à la vue de l’enfant qui se découpe sur fond de lumière. Les soldats de la SStentent de le retenir captif, mais il s’échappe et disparaît dans la forêt. Le récit mis en scène ne permet pas de décider si cette figure de l’enfant est réellement perçue par Saül ou si elle est hallucinée. Cette équivoque pourrait signifier que là n’est pas l’important, car ce qui est indestructible, c’est la détermination intime et agissante de Saül de ne pas céder sur cette exigence qui l’habite de « faire bien les choses », comme il dit. C’est en ce sens que l’échappée de l’enfant symbolise ce qui échappera à la Volonté absolue de la Jouissance mortelle.

Guy de Villers,
21 janvier 2016

9 J. Lacan, Op. cit., p. 326.
10 J. Lacan, Op. cit., p. 326
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